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L’art de la transmission

L'Orchestre National de Lyon et Leonard Slatkin accueillent une soixantaine d'étudiants du CNSMD ; première initiative du genre ou comment accompagner la nouvelle génération au cœur d'un orchestre professionnel.

L’ONL et l’Orchestre du CNSMD de Lyon réunis sous la baguette de Leonard Slatkin, donnent un programme placé sous le signe de la transmission symphonique et de la solidarité musicale.
Ce superbe partenariat au cœur de l’orchestre a d’autant plus de valeur dans la période que nous traversons et prend tout son sens dans les liens qui unissent ici musiciens en devenir et musiciens accomplis.

Cette semaine de travail en commun aboutit à un concert. En ouverture, les étudiants seuls interprètent Timepiece de Cindy McTee, œuvre pleine d’humour et de contrastes, exigeante sur le plan technique et rythmique. Puis les musiciens de l’ONL — dont le violoncelliste solo Edouard Sapey-Triomphe, également enseignant au CNSMD de Lyon — rejoindront les étudiants pour le Concerto de Dvořák. Frisson garanti avec cette œuvre au succès immédiat jamais démenti, où le violoncelle se fait tour à tour fougueux, passionné, émouvant ou révolté. La Symphonie n°5 de Chostakovitch écrite en pleine période des purges staliniennes alors que l’auteur se sait menacé est porteuse elle-aussi d’une incroyable tension émotionnelle. Elle bouleversa le public lors de sa création à Leningrad et parachève ce programme placé sous le signe du partage et d’une dynamique d’insertion professionnelle.

mardi 20 janvier

19h

Propos d’avant-concert
par François Micol, étudiant du département de culture musicale

20h

Orchestre national de Lyon / Orchestre du CNSMD de Lyon
Leonard Slatkin, direction
Hélène Bouchez, préparation de l’orchestre du CNSMD
Edouard Sapey-Triomphe, violoncelle

Réservez vos places à l’Auditorium de Lyon
149 rue Garibaldi 69003 Lyon
entrée libre

CNSMD
Cindy McTee – Timepiece pour orchestre

ONL / CNSMD
Antonín Dvořák – Concerto pour violoncelle en si mineur n°2 op. 104

ONL / CNSMD
Dmitri Chostakovitch – Symphonie en ré mineur n°5 op. 47

L’art de la transmission – Leonard Slatkin

« C’est ici l’occasion de mener un projet qui me tient particulièrement à cœur : l’accueil d’étudiants du CNSMD de Lyon au sein de notre orchestre.
Le monde de l’orchestre a considérablement évolué en 20 ans. La compétition pour obtenir un poste est encore plus difficile, notre métier s’est enrichi de nouvelles facettes, notre répertoire s’est ouvert à de nouvelles formes musicales, les attentes des financeurs sont croissantes… Et votre (notre) métier ne consiste pas seulement à jouer d’un instrument au plus haut niveau. Etre musicien d’orchestre requiert de nombreux autres talents, une écoute, une adaptabilité, une discipline de pupitre, une capacité à vivre en groupe, une générosité dans nos actions en direction des plus jeunes ou des public empêchés… Comment un jeune musicien peut-il intégrer tout cela ?
Il est de notre responsabilité, nous professionnels, d’accompagner, d’inspirer et de guider la nouvelle génération. C’est l’idée de cette première initiative avec le CNSMD de Lyon, initiative que je souhaite renouveler tous les deux ans.
Cette série autour de la 5e symphonie de Chostakovitch et du Concerto pour violoncelle de Dvorak ne sera donc pas une série comme les autres. Dans ce type de collaboration, les répétitions sont importantes, qui permettent à des étudiants d’être assis à côté de professionnels. L’objet principal est d’aider les jeunes à comprendre la relation de travail au sein d’un orchestre et cela n’a rien à voir avec du coaching individuel. Même des répétitions en partielles ne donnent pas aux jeunes musiciens une véritable idée du travail réalisé au sein d’un orchestre permanent.
C’est notre première initiative de ce genre. Je suis persuadé, pour l’avoir déjà fait de nombreuses fois, qu’à la fin de la première répétition, l’importance d’un tel projet sera une évidence pour chacun. Et qu’à la fin de cette série, au-delà d’une très belle aventure vécue, nous aurons l’expérience avec nous pour construire au mieux les futurs projets de collaboration avec le Conservatoire ». [Leonard Slatkin]

Interviews de Hélène Bouchez qui a préparé l’Orchestre du Conservatoire, Robert Bianciotto, clarinettiste de l’Orchestre et enseignant au CNSMD de Lyon et Léo Genet, étudiant contrebassiste

Cindy McTee – Timepiece

Cindy McTee est une figure de premier plan de la musique contemporaine américaine. Son écriture haute en couleurs puise notamment aux sources du jazz, influence déterminante du travail rythmique et instrumental à l’œuvre dans Timepiece. Le titre renvoie d’une part à la commémoration du centenaire du Dallas Symphony Orchestra, à l’origine de la commande, mais également à un travail bien particulier sur le temps musical : l’opposition entre la suspension des premières minutes, comme « hors du temps », et la force motrice de la pulsation qui prend ensuite un contrôle de plus en plus implacable.
La section initiale semble ainsi renfermer une énergie latente, attendant de s’emballer : les bribes de pulsation, les appels des vents et les élans du xylophone se heurtent à de patientes tenues des instruments à cordes. Peu à peu, un réseau d’ostinatos parvient à s’imposer, le tempo s’accélère et les interruptions du discours se raréfient. La circularité des motifs induit de subtils décalages rythmiques, tandis que les timbres de l’orchestre multiplient les allusions humoristiques au jazz et au big band, éléments totalement assimilés dans le style de la compositrice.

Antonín Dvořák – Concerto pour violoncelle en si mineur, op. 104

Ce Concerto fut composé aux États-Unis durant l’hiver 1894-1895, peu de temps après l’immense succès de la Symphonie du Nouveau Monde. Dvořák, invité en 1892 à diriger le Conservatoire de New York, a tout d’abord été impressionné par ce jeune pays aux si grandes richesses folkloriques ; mais à l’euphorie initiale a succédé un certain désenchantement lié à divers événements d’ordre affectif, des difficultés matérielles et, plus encore, une nostalgie grandissante de Prague et de sa Bohême natale.
Formée de trois mouvements, l’œuvre, contrairement à la Symphonie du Nouveau Monde, n’incorpore pas d’éléments « américains » ; c’est un lyrisme passionné, authentiquement slave qui s’y épanouit, paré d’une orchestration faisant la part belle aux instruments à vents, à la manière de Tchaïkovski.

Dmitri Chostakovitch – Symphonie n° 5, en ré mineur, op. 47

« La faculté qu’a la bonne musique de captiver les masses est sacrifiée sur l’autel des vains labeurs du formalisme petit-bourgeois, où l’on fait l’original en pensant créer l’originalité, où l’on joue à l’hermétisme – un jeu qui peut très mal finir. »
Par cette critique assassine, parue dans la Pravda du 28 janvier 1936, le régime soviétique vouait aux gémonies l’opéra Lady Macbeth de Mtensk, œuvre phare de Chostakovitch qui connaissait alors un succès mondial. Dans le contexte de la Grande Terreur des années 1930, où des centaines de milliers de personnes furent victimes des purges staliniennes, l’avertissement était on ne peut plus explicite : les artistes d’avant-garde devaient rentrer dans le rang, ou disparaître.
Rentrer dans le rang, cela signifiait avant tout simplifier son langage : écrire une musique accessible au « peuple », conforme à la doctrine du « réalisme socialiste » ; écrire des œuvres optimistes, aux mélodies simples à mémoriser, privilégiant les formes conventionnelles. L’élaboration de dissonances, de contrepoints savants, la quête d’une abstraction esthétique relevaient du « formalisme », accusation aux contours flous mais extrêmement grave. La Symphonie n°4 de Chostakovitch, œuvre ambitieuse achevée dans la foulée de l’affaire Lady Macbeth, fut soupçonnée de « formalisme » au cours des premières répétitions, et le compositeur dut retirer sa partition.
Plongé dans l’angoisse, redoutant son arrestation, Chostakovitch entreprit l’année suivante La Symphonie n°5. Achevée en quelques semaines, la partition fut créée en novembre 1937 à Léningrad et présentée par l’auteur comme « la réponse à de justes critiques ». Le compositeur semble avoir courbé l’échine, déclarant notamment dans le programme que « le finale de la symphonie, qui affirme la vie, fait penser à la lutte de l’auteur dans sa vie quotidienne pour échapper au cercle fermé de l’expérience individualiste. » Mais derrière les gages d’obéissance aux préceptes staliniens, il convient de voir dans La Symphonie n°5 une réponse beaucoup plus profonde et sincère aux répercussions du scandale de Lady Macbeth. La simplicité n’exclut pas une extrême tension expressive, ainsi qu’un jeu permanent sur l’ambiguïté, la dérision, autant d’éléments fondamentaux de son style.
Dans le climat délétère de la Grande Terreur, le public russe réserva en tout cas à l’œuvre un accueil triomphal, sans doute le signe d’une identification profonde aux tourments de l’auteur.

[François Micol, étudiant du département de culture musicale]

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