atelier XX-21 Fabrice Pierre © B. Adilon atelier XX-21 et département danse © B. Adilon Sergio Menozzi
 

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Nuit de lunes

Le 27 février, à l'occasion de la réouverture de la salle Varèse, le CNSMD propose une Nuit de Lunes en deux parties en compagnie de l'atelier XX-21 dirigé par Fabrice Pierre, avec les créations de Sergio Menozzi et la diffusion d'un petit bijou du film d'animation : L'idée de Berthold Bartosch (1932) sur une musique d'Honegger.

La nuit a inspiré de nombreux compositeurs. Souvent associée à la mélancolie et à la nostalgie, elle est également le lieu de la réflexion et de la résistance.

Nuit de Lunes

Vendredi 27 février, 19h et 21 h

salle Varèse, tarif unique : 12 €

Atelier XX-21, Fabrice Pierre, direction
Sergio Menozzi, saxophone
Aurélie Bouchard, harpe
Marion Allain, clarinette
département danse

19h

L. Dallapiccola : Piccola musica notturna
Diffusion du film « L’idée » de Berthold Bartosch sur une musique de Honegger
S. Menozzi : Voix du soir, création pour 15 instruments

21h

S. Menozzi : Lunes pour voix de femme, harpe et clarinette
M. Kagel : Zwei Akte pour saxophone et harpe, version avec danse
F. Schreker : Kammersymphonie

Luigi Dallapiccola (1904-1975)

Piccola musica notturna, 1954, révisée en 1961,
d’après le poème d’Antonio Machado « Noche de Verano » (Nuit d’été)

Dans le silence relatif de la nuit, notre perception du temps change, les évènements sonores prennent une autre dimension. La Piccola musica notturna de Luigi Dallapiccola propose une écoute nocturne du temps, plus éthéré.
Composée en 1954, la version pour orchestre est une commande d’Hermann Scherchen pour le neuvième congrès de la Fédération Internationale des Jeunesses Musicales de Hanovre ; elle porte la dédicace « Aux amis du Queens College, ces sons nocturnes, évoqués avec nostalgie ». Le compositeur l’adapte, sept plus tard, pour un effectif plus intimiste : flûte, hautbois, clarinette en si bémol, célesta, harpe, violon, alto et violoncelle. Cette œuvre fait clairement allusion au poème d’Antonio Machado « Noche de Verano », sans toutefois en être une simple illustration.

Nuit d’été « C’est une belle nuit d’été. Les hautes maisons ont leurs fenêtres ouvertes sur la vaste place. Sur l’ample rectangle désert des bancs de pierre, des fusains et des acacias dessinent symétriquement leurs ombres noires sur le sable blanc. Au zénith, la lune et sur la tour la sphère de l’horloge illuminée. Moi dans ce vieux village déambulant tout seul, comme un fantôme. » (Traduction de Sylvie Léger et Bernard Sesé, éditions Gallimard, NRF, 1973)
Le caractère nostalgique revendiqué par le compositeur laisse néanmoins la place à un important travail sur la perception des sons et du temps. Le matériau musical sommaire est distordu au fil de la pièce, de la même manière que notre mauvaise vision nocturne déforme le monde une fois la nuit tombée. Dallapiccola utilise les instruments d’une manière très traditionnelle pour l’époque. Il joue avec les alliages de timbres (pizz de harpe et flûte par exemple) et avec le célesta pour créer des ambiances nocturnes mystérieuses. Évoquant le calme voire le silence de la nuit, les sons tenus des instruments forment tour à tour un tapis sonore sur lequel des évènements sonores ponctuels se détachent avec une ampleur démultipliée.
L’écriture sérielle se déploie simplement, à partir d’harmonies familières telles que l’accord de quinte augmentée ou de sixte. La forme de cette œuvre est sous-tendue par un contraste entre des sections contrapuntiques – principalement canonique – qui donne l’impression d’un temps étiré, et des sections dominées par une écriture plus verticale.

Projection du film d’animation L’idée de Berthold Bartosch, 1932,

musique originale d’ Arthur Honegger jouée en direct

Dans une société capitaliste qui asservit les journées à une logique de productivité, la nuit devient le lieu privilégié de la réflexion d’où émane les idées révolutionnaires, tel est le thème abordé en 1920 par le peintre et graveur belge Frans Masereel, dans sa série de quatre-vingt trois gravures sur bois intitulée l’Idée. Dix ans plus tard, cette œuvre est adaptée au cinéma d’animation par Berthold Bartosch, un pionnier du genre, mais dont aucune autre réalisation ne nous est malheureusement parvenue.  Arthur Honegger, enthousiasmé et concerné par le sujet du film, se voit confier la composition de la musique qu’il achèvera en 1934, écrite pour treize solistes : flûte, clarinette, saxophone, basson, trompette, trombone, piano, percussion, deux violons, alto, violoncelle et ondes Martenot.
L’Idée – une femme nue qui profite de la nuit pour investir l’esprit de certains hommes – est systématiquement accompagnée par le son irréel de cet instrument électronique inventé très récemment, en 1928. Les autres instruments sont, quant à eux, associés aux personnages terrestres et aux nombreuses péripéties du drame. Par cette instrumentation, Honegger oppose également l’intemporalité et la pureté de l’allégorie à la condition difficile du monde ouvrier. Il adapte avec finesse sa musique aux douze sections du film, et déploie ainsi une large palette de styles musicaux : de la mélodie nocturne éthérée à l’atmosphère d’une grande ville – prétextant ainsi des rythmes de jazz et de rumba -, du cortège des travailleurs aux bruits des rotatives d’une imprimerie, en passant par la musique solennelle du procès et la marche funèbre. L’absence de dialogues et de bruitages lui permet d’écrire une musique élaborée et suggestive autour de la tonalité de mi mineur.

Sur fond de ciel étoilé, le film s’ouvre sur un texte probablement de la plume de Masereel lui-même :

LES HOMMES VIVENT ET MEURENT POUR UNE IDÉE
MAIS L’IDÉE EST IMMORTELLE
ON PEUT LA POURSUIVRE
ON PEUT LA JUGER
ON PEUT L’INTERDIRE
ON PEUT LA CONDAMNER À MORT
MAIS L’IDÉE CONTINUE À VIVRE DANS L’ESPRIT DES HOMMES
ELLE EST PARTOUT OÙ EXISTENT
CÔTE À CÔTE LA MISÈRE ET LA LUTTE
ELLE SURGIT TANTÔT ICI,
TANTÔT LÀ, ELLE POURSUIT SON
CHEMIN À TRAVERS LES SIÈCLES
L’INJUSTICE TREMBLE DEVANT ELLE
AUX OPPRIMÉS ELLE INDIQUE LA VOIE
VERS UN AVENIR MEILLEUR
CELUI EN QUI ELLE PÉNÈTRE NE SE SENT PLUS ISOLÉ
CAR AU DESSUS DE TOUT EST L’IDÉE

L’Idée de ce film a survécu aux personnages qui ont tenté de la diffuser par tous les moyens oraux et écrits.

Sergio Menozzi, Voix du soir, création, 2014

Fantaisies d’après Richard Dehmel
Musique de S. Menozzi et Alexander von Zemlinsky (transcription de S. Menozzi)
I-Crépuscule (Menozzi)
II-Chant du scarabée (Zemlinsky)
III-Solitude (Menozzi)
IV-Amour (Zemlinsky)
V-Carillon (Perpetuum immobile) (Menozzi)
VI-Béatitude de la forêt (Zemlinsky)
VII-Mélancolie (Menozzi)
VIII-Voix du soir (Zemlinsky)
IX-Spectres (Menozzi)

Voix du soir est une œuvre qui mêle des pièces inédites de Sergio Menozzi avec les quatre Fantasien über Gedichte von Richard Dehmel pour piano op. 9 du compositeur autrichien Alexander von Zemlinsky – « Voix du soir », « Béatitude de la forêt », « Amour » et « Chant du scarabée ». Les textes éponymes du poète allemand contemporain Richard Dehmel abordent les thèmes de la nuit, de la nature, de l’amour et du temps qui passe. Cet univers mélancolique sied parfaitement à la musique de Zemlinsky. Bien qu’il ait côtoyé Arnold Schoenberg au moment où celui-ci écrit ses premières œuvres dodécaphonique, son langage n’en subit que peu d’influence et reste dans l’héritage post-romantique de Gustav Mahler.
Sergio Menozzi s’est également inspiré de l’univers tendrement naïf de ce poète pour composer « Solitude », « Mélancolie », « Crépuscule », Carillon » et « Spectres », à partir de poèmes qu’il a lui-même imaginés. « Mélancolie » se veut une sorte de distorsion musicale de la fantaisie « Amour » de Zemlinsky. En encadrant chaque pièce de l’op.9 par ses propres Fantaisies, il apporte un contexte sonore et un éclairage nouveau à l’œuvre du compositeur autrichien. La dramaturgie qui traverse l’ensemble l’unifie et lui confère ainsi une autonomie musicale.

Concert de 21h

Ce deuxième concert aborde un monde nocturne différent : celui du cabaret contemporain.

Sergio Menozzi, Lunes, création, 2014

Neuf poèmes lunaires pour voix de femme, clarinette et harpe
I-La lune se lève (Anna Akhmatova)
II-Tout le monde dort (Seifujo)
III-Clair de lune (Paul Verlaine)
IV-La lune blanche (Paul Verlaine)
V-Tristesses de la lune (Charles Baudelaire)
VI-Lune claire (Ryota)
VII-De la lune jusqu’ici…
VIII-Fut-ce en mille éclats (Ueda Chosha)
IX-Lune, eau sonore, nuit bénie (Charles Baudelaire)

Dans Lunes, Sergio Menozzi met en scène l’astre dans tous ses états poétiques.

Sa mise en musique consiste en une traduction des affects ressentis à la lecture des textes par le compositeur, du langage parlé au langage musical. Il offre ainsi sa propre lecture des poèmes d’Anna Akhmatova, Paul Verlaine et Charles Baudelaire. Évocative, la musique interagit plus fortement avec les expressions musicales des textes, telles que la « sonate au clair de lune » citée dans La lune se lève ou encore « Jouant du luth » dans le Clair de Lune de Verlaine. Dans les poésies russes et françaises, le langage musical et l’effectif instrumental – du duo voix-harpe ou voix-clarinette au trio voix-harpe-clarinette – varient en fonction de la nature du poème et de l’émotion qui en émane. La musique sur les haiku japonais de Seifujo, Ryota et Ueda Chosha s’apparentent à trois interludes méditatifs pour voix parlée et harpe. Reliés entre eux par une même ligne mélodique, ils trouvent leur identité propre dans la variation qu’ils lui apportent. La sobriété et l’expressivité du style vocal parlé habillent parfaitement la simplicité et la retenue de la poésie japonaise.

Maurizio Kagel (1931-2008),

Zwei Akte, pour deux danseurs, saxophones et harpe

Grand représentant du théâtre musical au XXe siècle, l’argentin Maurizio Kagel accorde un soin particulier à la dimension scénique dans bon nombre de ses œuvres. Il compose Zwei Akte dans l’esprit du cabaret contemporain.
C’est une pièce pour harpe, saxophones et deux danseurs. Ceux-ci peuvent entrer en scène quand ils le souhaitent. L’un, associé musicalement à la harpe, incarne le féminin, l’autre, relié au saxophone, représente le masculin. Pour autant, le compositeur n’a pas une vision cloisonné de ces deux rôles : « Lorsque j’ai entrepris cette composition, je me suis demandé – et j’ai posé la même question à des étrangers et à des amis : quels instruments personnifieraient le féminin et le masculin ? J’en suis ainsi venu à cette formation inhabituelle pour laquelle je souhaitais (comme dans la relation entre deux personnes) écrire une pièce comportant de nombreuses situations différentes. La combinaison de ces instruments m’a cependant montré que les stéréotypes conviennent mieux qu’on ne le pense à des variations surprenantes. La harpe et le saxophone, par exemple, alternent les rôles qui leur sont attribués et adoptent fréquemment l’expression et le caractère du partenaire. Il en résulte des transitions presque imperceptibles, des nœuds acoustiques qui, comme dans la réalité, peuvent être interprétés différemment par l’auditeur et par moi. » L’action de l’œuvre, un strip-tease à l’envers, se déroule dans la salle des costumes d’un théâtre. Le compositeur interroge ainsi la propriété dissimulatrice de l’habit comme déguisement. La rareté des indications scéniques et musicales offre une grande marge de liberté à tous les interprètes.

Bien qu’il n’ait donné naissance à aucune « école », l’œuvre extrêmement variée de Kagel a influencé de nombreux jeunes compositeurs.

Franz Schreker (1878-1934)

Kammersymphonie, 1917

La nuit est aussi le lieu de l’intime et de l’introspection. En réaction au gigantisme des symphonies post-romantiques, tant au niveau de la durée que de l’effectif instrumental, le genre de la symphonie de chambre fleurit au début du XXe siècle.
Composée en 1916 et créée en 1917, la Kammersymphonie de l’autrichien Franz Schreker est une œuvre en un seul mouvement, pour vingt-trois parties instrumentales, sur le modèle de la Kammersymphonie op.9 écrite par Schoenberg en 1907 – compositeur de la Nuit transfigurée. Son instrumentarium comporte des cordes (divisées en dix parties), des vents, des percussions, une harpe, un piano, un célesta et un harmonium. L’atmosphère onirique qui ouvre l’œuvre est suscitée par la confluence des trois instruments à claviers et par une écriture très contrapuntique tout du long. Sa forme continue laisse transparaître la structure archétypale de la symphonie classique. Un allegro précédé d’une section très lente fait référence à un premier mouvement de symphonie, tandis que le luxuriant adagio qui suit s’efface sur une section au caractère scherzando. La dernière partie rassemble les différents thèmes précédemment entendus. À mi-chemin entre le romantisme et l’expressionnisme, le mélange des styles opéré par le compositeur rend cette œuvre unique. Schreker est un des compositeurs les plus influents du monde germanophone après la Première Guerre Mondiale. Il possède une formation de pianiste et d’organiste entre autres. Fils d’un photographe juif, il a ensuite été injustement plongé dans le noir et dans l’oubli par le nazisme montant, alors même qu’il dirigeait la Hochschule de Berlin. Sa Kammersymphonie et bien d’autres de ses œuvres méritent de retrouver la lumière des salles de concerts d’aujourd’hui. [Cécile Lartigau]

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