Jeune public

Saison passées | saison 2019 - 2020

ANNULÉ – Séminaire de recherche

Conférence/recherche/colloque

Jeudi 19 mars
11:00 - Unnamed Venue
3, quai Chauveau
Lyon 9e
04 72 19 26 61
Gratuit

Le rapport public–non public
dans le spectacle vivant

par Jacques Bonniel (Université Lumière Lyon 2)
Alain Poirier, coordination

Lors de la création du ministère de la Culture, André Malraux fixe comme « mission » dans le décret de Juillet 1959 qui le constitue de « favoriser l’accès du plus grand nom de Français aux œuvres capitales de l’humanité ».
C’est le point de départ d’une politique publique volontariste de la culture qualifiée généralement comme une politique de démocratisation culturelle. Elle est caractérisée par une politique d’accroissement de l’offre culturelle au moyen de la création d’équipements (Maisons de la Culture, Centres d’Action Culturelle, …) devant réduire la distance, l’accès physique à la culture. Au moment même où les premiers travaux des sociologues de l’éducation et de la culture (Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron, Joffre Dumazedier, Michel de Certeau …) tendent à montrer que la question des inégalités culturelles réside moins dans les contraintes financières ou d’accès physique que d’appropriation symbolique dans la non-maîtrise des codes de réception des œuvres.
Cette politique de démocratisation culturelle va tendre de fait à conforter la « culture cultivée » au détriment des formes de culture populaire défendues par les mouvements d’éducation populaire (MJC, Foyers Ruraux, Ligue de l’Enseignement, CEMEA, Léo Lagrange…) dont Malraux avait rejeté la tutelle.
Pourtant, à la faveur de Mai 1968 qui va toucher le secteur culturel (essentiellement d’ailleurs le secteur théâtral), des préoccupations vont émerger tendant à promouvoir la prise en compte du « non-public ». En particulier le philosophe Francis Jeanson (des Temps modernes) va systématiser cette réflexion lors d’une réunion à Villeurbanne des directeurs de Maisons de la Culture et autres théâtres à l’invitation de Roger Planchon. C’est donc la publication de la désormais célèbre Déclaration de Villeurbanne, en date du 25 mai 1968, qui va donner ses lettres de noblesse à cette notion.
« Il y a d’un côté le public, notre public, et peu importe qu’il soit, selon les cas, actuel ou potentiel (….) ; et il y a, de l’autre, un non-public : une immensité humaine composée de tous ceux qui n’ont encore aucun accès ni aucune chance d’accéder prochainement au phénomène culturel sous les formes qu’il persiste à revêtir dans la presque totalité des cas ».
Pour autant, une fois cette effervescence retombée, et malgré les constats frappants sur l’ampleur de ces inégalités culturelles révélées par les enquêtes menées à partir de années 1970 sur Les pratiques culturelles des Français, cette question du non-public va retomber dans un certain oubli institutionnel et politique.
Il faudra que les notions de développement culturel (portées par un ministre comme Jacques Duhamel et par l’UNESCO), de diversité culturelle et de politique de démocratie culturelle (c’est-à-dire l’égale dignité des diverses cultures), puis plus tard du rappel de la participation des droits culturels aux droits de l’homme, pour que revienne au goût du jour la question du non-public.
Plus récemment les travaux de plusieurs philosophes, dont Jacques Rancière et Christian Ruby, nous ont rappelé que le « partage du sensible », que l’ « émancipation du spectateur » constituent des éléments incontournables d’un renouvellement de nos démocraties : on ne naît pas spectateur comme on ne naît pas citoyen et il existe diverses manières d’être spectateur comme il existe diverses modalités de construction de la citoyenneté.

Bibliographie

Pascale Ancel et Alain Pessin Les non-publics : les arts en réceptions  2 vol. L’Harmattan 2004
Jacques Bonniel, Élargir le cercle des connaisseurs L’Observatoire. La revue des politiques culturelles n°32 Septembre 2007
Olivier Donnat, Les pratiques culturelles des Français, enquête 1997  ministère de la Culture – DEP, La Documentation française, 1998
Le(s) public(s) de la culture sous la direction de Olivier Donnat et Paul Tolila, Presses de Sciences Po 2003
Cosmina Ghebaur, « Le non-public et la culture », Terrain [En ligne], 58 | mars 2012, mis en ligne le 01 janvier 2014, URL : http://journals.openedition.org/terrain/14684
Francis Jeanson, L’action culturelle dans la cité, Paris, Le Seuil, 1972
André Malraux, La politique, la culture Folio Essais Gallimard 1996
Jacques Rancière, Le partage du sensible. La Fabrique 2000
Jacques Rancière, Le spectateur émancipé. La Fabrique 2008
Christian Ruby, Spectateur et politique. D’une conception crépusculaire à une conception affirmative de la culture. La lettre volée 2015
Christian Ruby, Devenir spectateur.  Invention et mutation du public culturel.  Éditions de l’Attribut 2017
Guy Saez, « Non-public » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 20 septembre 2015. Dernière modification le 19 septembre 2019. Accès : http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/non-public
Philippe Urfalino, L’invention de la politique culturelle, Ministère de la culture/Comité d’histoire, La Documentation française, 1996.
« Non-public » et droits culturels. Éléments pour une (re)lecture de la Déclaration de Villeurbanne (25 mai 1968.  Edit. La Passe du vent Nov 2018)