© Blaise Adilon

Saison passées | saison 2015 - 2016

Nuit d’ouverture Beethoven Projekt

Piano

Vendredi 15 janvier
19:00 -



Gratuit

Intégrale des Sonates pour piano de Beethoven

 

19h Sonates dédiées à Haydn

Sonate pour piano n°1 en fa mineur, op. 2/1 par Victoria Sol

Sonate pour piano n°2 en la mineur, op. 2/2 par Masahiko Omori

Guillaume Dufay : motet Nuper rosarum flores
par Léo Fernique, contre-ténor / Eymeric Mosca, ténor
Adrien Muller et Guillaume Bernard, sacqueboutes

Sonate pour piano n°3 en ut majeur, op. 2/3 par Jiwon Jang

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21h “Appassionata” et “Les adieux”

Sonate pour piano n°26 en mi bémol majeur, op. 81a, dite “Les adieux” par Paul Juranville

Sonate pour piano n°23 en fa mineur, op. 57, dite “Appassionata” par Corinne Marinho

Sonate pour piano n°19 en sol mineur, op. 49/1 par Félix Dalban-Moreynas

Sonate pour piano n°20 en sol majeur, op. 49/2 par Chiko Miyagawa

B. Bartók : Sonate pour deux pianos & deux percussionnistes, BB 115
par Florent Boffard, Marie-Josèphe Jude, pianos
Benjamin Cottereau et Baptiste Ruhlmann, percussions

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Beethoven et Dufay : un art de la combinatoire

« Le moment viendra bientôt peut-être où ces œuvres [les sonates pour piano seul de Beethoven], qui laissent derrière elles ce qu’il y a de plus avancé dans l’art, pourront être comprises, sinon de la foule, au moins d’un public d’élite. C’est une expérience à tenter ; si elle ne réussit pas, on la recommencera plus tard. Les grandes sonates de Beethoven serviront d’échelle métrique pour mesurer le développement de notre intelligence musicale. »
Hector Berlioz, À travers chants

« Recevez, des mains de Haydn, l’esprit de Mozart » : c’est accompagné de ces quelques mots, désormais fameux, de son ancien protecteur le comte Waldstein, que Beethoven quitte Bonn pour Vienne en 1792. Quatre ans plus tard, il fait publier par la maison Artaria ses premières sonates dédiées à Haydn. Dans ces premières œuvres pour piano, le jeune compositeur atteste de sa vigoureuse personnalité musicale et témoigne qu’il a assimilé les techniques formelles de la génération précédente, dont les principaux représentants sont Mozart et Haydn.

La forme sonate domine l’ensemble de la musique instrumentale de l’époque ; l’originalité de Beethoven consiste à y adjoindre un principe structurel : la transformation thématique. Ainsi, tel un Janus aux multiples visages, un seul thème irrigue parfois l’ensemble de la forme sous différents aspects. Dans l’exposition de la Sonate n° 1, en fa mineur, le second thème, énoncé au ton relatif majeur, ne constitue qu’une inversion du premier. Dans la Sonate n° 2, en la majeur, le développement de l’Allegro vivace initial fait entendre le même thème en chutes de tierces emprunté aux premières mesures et lui confère un caractère brillant et pathétique qu’accentuent l’alternance des nuances forte et fortissimo. Quant à la Sonate n° 3, son Allegro con brio frappe par son thème principal composé d’un même motif (une seule mesure), répété de manière transposée à quatre reprises. Cette unité motivique, déjà perceptible dans les œuvres de Haydn, fut admirée en son temps.

Ce subtil art de la combinatoire trouve une résonance dans l’œuvre de Guillaume Dufay (vers 1400-1474). Par leur complexité formelle, ses motets s’inscrivent dans la continuité des œuvres des générations précédentes. Ainsi, dans treize de ses motets, Dufay utilise la technique de l’isorythmie, qui consiste à répéter une même mélodie (color) au ténor sous différentes présentations rythmiques (talea). Quoique cette technique de composition fût déjà tombée en désuétude au début du XVe siècle, Dufay en usa de nouveau pour exprimer pleinement sa virtuosité d’écriture.

Composé pour la consécration du dôme de Florence le 25 mars 1436, le motet Nuper rosarum flores en est le plus fidèle exemple. Grâce à un savant calcul de proportions, Dufay fait correspondre la structure des deux ténors, qui énoncent la même mélodie en cantus firmus, au plan architectural de la cathédrale Santa Maria del Fiore conçu par Filippo Brunelleschi (1377-1446). Délimité en quatre sections, l’ensemble de l’œuvre est gouverné par une proportion « 6:4:2:3 » inédite dans l’œuvre de Dufay ; elle correspond, respectivement, à la longueur de la nef, du transept, de l’abside et la hauteur du dôme à son sommet. La présence des deux ténors n’est pas non plus anodine et renvoie probablement à la structure en double coque du dôme de Brunelleschi.

Telle cette forme sonate qui irrigue la musique instrumentale à partir de la fin du XVIIIe siècle, l’isorythmie était devenue le moyen d’expression privilégié des compositeurs, depuis Philippe de Vitry (1291-1361) et Guillaume de Machaut (1300-1377) jusqu’à ceux de l’ars subtilior (à la fin du XIVe siècle), poussant à son extrême la notion d’intellectualisme musical. Mais si la richesse formelle demeure une constante de l’œuvre de Dufay et de Beethoven,  chez celui-ci l’art de la combinatoire ne sacrifie aucunement à l’expressivité musicale. En insufflant une véritable dramaturgie à la forme sonate et en exploitant les registres et les nuances extrêmes du piano, Beethoven se fait le chantre d’une nouvelle sensibilité recentrée sur le pathos et exaltée en littérature par Goethe et Schiller.

Les arcanes de ces œuvres peuvent parfois nous échapper, mais leur expressivité n’en touche pas moins à l’universel.

Clément Stagnol
classe de luth et département de culture musicale / CNSMD de Lyon

Les deux sonates en sol de l’opus 49 (n°19 et 20), datent des années 1795-98. Beethoven ne les destinait pas à la publication, elles n’ont été publiées qu’en 1805 à l’initiative de Karl, le frère du compositeur. Ces deux “miniatures”(Paul Badura-Skoda), en deux mouvements, n’exigent pas, de la part de l’interprète, une grande vélocité digitale et pourraient être titrées sonates faciles, comme le sera l’opus 79 (1809), également en sol (cette fois, en majeur). Comment ne pas les rapprocher des deux brèves (8 minutes) Romances pour violon avec accompagnement d’orchestre (n° 1, op. 40, en sol majeur ; et n° 2, et op. 50, en fa majeur) ?  À ce moment, Beethoven ressentit combien le legs haydnien finissait par le paralyser et reconsidéra chaque élément lié à la composition musicale (durée, forme, énergie, espace, genre, timbre, etc.). Repartir de zéro pour mieux reconstruire…

La Sonate n° 26, en mi bémol majeur, op. 81a, a été composée vers 1809-1810. Contrairement aux sonates dites Clair de lune, Pastorale et Appassionata dont les titres ont été attribués par des éditeurs ou des commentateurs postérieurs, cette sonate Les Adieux, suit une narration que Beethoven indique en titre de chaque mouvement : Les adieux, l’absence et le retour [Lebewohl, Abwesenheit und Wiedersehn]. Cette Sonate caractéristique, comme l’écrit le compositeur, est dédiée à son élève et ami l’archiduc Rodolphe d’Autriche, alors que celui-ci est contraint de quitter Vienne à la suite de la bataille de Wagram.

Comme le précise le texte placé sur les notes de l’incipit, le motif descendant exprime musicalement l’adieu que Beethoven adresse à son ami : les chromatismes descendants de la basse, utilisés traditionnellement pour évoquer la plainte, sont très présents au début de l’Adagio et de l’Allegro du premier mouvement, et traduisent l’affliction du compositeur. Puis l’Andante espressivo évoque l’absence de l’être cher et illustre l’attente par des notes tenues, alors que l’impatience du retour provoque l’emballement des quintuples croches. Le Vivacissimamente final laisse apparaître la liesse du retour ; sa fougue rappelle celle du finale du Concerto pour piano n°5, op. 73, également dédié à l’archiduc.

La Sonate pour deux pianos et percussions de Béla Bartók (1881-1945) est contemporaine de sa Musique pour cordes, percussions et célesta, composée dans les années 1936-37. Ces deux œuvres partagent un caractère de danse d’où émanent une joie et une clarté mises en lumière par une architecture claire, inspirée des canons formels appartenant à toute l’histoire de la musique ; la forme en arche y trouve une place privilégiée. En effet, le premier mouvement (Assai lento – Allegro molto) est une forme-sonate, le second (Lento, ma non troppo) une forme lied, et le dernier (Allegro non troppo) combine la structure de la sonate et celle du rondo.

Bartók profite d’une commande de la section bâloise de la Société internationale de musique contemporaine, pour donner jour à un projet ancien : « depuis quelques années, je projette de composer une œuvre pour piano et percussion. Mais j’ai progressivement acquis la conviction qu’un seul piano ne peut suffire à contrebalancer les sons souvent incisifs de la percussion ». C’est pourquoi l’œuvre insiste sur le rythme comme élément thématique et moteur. Les parties de pianos traitent les deux mains de manière égale, comme deux baguettes sur un xylophone. Il s’agit donc d’un quatuor de percussionnistes, la continuité de timbre entre les pianos et les percussions à hauteur non définie étant assurée par les notes des timbales et du xylophone.

La Sonate n°23, en fa mineur, op. 57, dite Appassionata, était la sonate préférée de Beethoven, jusqu’à la composition de l’op. 106 (Hammerklavier). Dédiée au compte Franz von Brunswick, elle fut proposée à l’éditeur Breitkopf & Härtel avec deux autres sonates antérieures, les opus 53 (Walstein) et 54. Cette œuvre est donc à appréhender dans un ensemble plus large, qui témoigne des recherches du compositeur dans ces années 1804-1805. Le compositeur y est particulièrement surprenant et novateur : l’Allegro assai initial est une des toutes premières formes sonate à ne pas comporter de reprise de l’exposition ; l’Andante con moto engage des variations sur un motif si nu qu’il peut à peine recevoir le nom de thème ; et l’Allegro ma non troppo final omet également la première reprise mais fait grand cas de la seconde, habituellement supprimée.

Ferdinand Ries, ami et élève de Beethoven, rapporte une expérience singulière, alors qu’il accompagnait Beethoven lors d’un voyage à pied : « Tout au long de notre route, il avait émis, pour lui seul, des grognements ou même des hurlements, qui tantôt montaient et tantôt descendaient, sans être vraiment des notes chantées. Comme je lui demandais ce que c’était là, il me dit : “C’est un thème qui m’est venu à l’esprit pour mon allegro final” ; il parlait de la Sonate en fa mineur, op. 57 ; et sitôt rentré il courut le jouer, sans même ôter son chapeau. Je m’assis dans un coin où il m’eut vite oublié, et il déroula avec fracas pendant une heure au moins le Finale de cette sonate, si beau, et tout nouvellement né, là, devant moi. »

Adrien Louis
département de culture musicale / CNSMD de Lyon