20220615_séminaire_Carlo-Benzi

Saison en cours | saison 2021 - 2022

[Accès restreint] Carlo Benzi

Conférence/recherche/colloque

Mercredi 15 juin
17:00 - CNSMD de Lyon
3, quai Chauveau
69009 Lyon
04 72 19 26 26

Durée 2h  - Studio Sonvs
Accès réservé aux étudiants et personnels du CNSMD

La rhétorique, est-elle encore aujourd’hui un outil efficace pour analyser et composer des œuvres musicales ?

Après un excursus historique sur l’évolution de la rhétorique en tant que discipline littéraire et sur ses liens avec la composition musicale pendant les XVII-XVIIIe  siècles, on considérera la Nouvelle Rhétorique se développant à partir des années Cinquante du XXe siècle et en particulier ses rapports avec la linguistique et la sémiologie. Selon ces théories, tous les arts sont reliés les uns aux autres, car chaque œuvre (littéraire, visuelle ou bien aussi musicale) est un système de signes, organisé selon une syntaxe déterminée constituant le code que le destinataire (spectateur, auditeur) doit reconnaître pour comprendre l’œuvre, pour y accéder rationnellement. Du moment que plusieurs compositeurs contemporains (parmi lesquels Boulez, Donatoni, Sciarrino et Ferneyhough et autres) ont traité dans leur écrits théoriques la figure musicale d’une façon similaire à la rhétorique musicale des siècles XVIIe et XVIIIe, on peut avancer l’hypothèse selon laquelle la rhétorique est encore aujourd’hui un outil  tout à fait efficace pour l’analyse et la composition musicales
Après avoir analysé des exemples des XVIIe, XVIIIe et XXe siècles, on essayera de composer avec les étudiants des fragments musicaux sur la base des figures rhétoriques et de réaliser, éventuellement, une improvisation instrumentale à partir des mêmes principes. »

Nicolas Ruwet (Langage, musique, poésie, essais écrits pendant plusieurs décennies et enfin collectés en 1972) applique par exemple les principes de la linguistique générale à l’analyse musicale et propose un modèle de communication fondé sur la capacité des auditeurs de reconnaître les structures morphologiques et syntaxiques mises en place par le compositeur. Jean-Jacques Nattiez défend une position similaire (Situation de la sémiologie musicale, 1971) : d’un côté, il souligne la nécessité de connaître le système symbolique mise en place par l’auteur, d’autre côté, il admet une certaine liberté de la part de l’interprète. Umberto Eco, pour sa part, développe un modèle de communication artistique dérivé de la sémiotique de Charles S. Peirce. Il souligne la nécessité que l’auteur et le lecteur, c’est-à-dire le destinataire, partagent le même système symbolique. À la différence de plusieurs de ses collègues, il souligne que la dimension historique joue aussi un rôle fondamental : pour cela, il défend dans La struttura assente (1968) la musique sérielle de la critique radicale de Lévi-Strauss, lequel ne l’acceptait pas car elle n’est présente que dans la culture européenne moderne. Eco met en valeur la nécessité d’un point de contact entre les positions poétiques de l’auteur et celles de l’interprète (I limiti dell’intepretazione, 1990) et polémique contre Jacques Derrida qui, au contraire, considère toute interprétation indépendante du contexte historique dans lequel l’œuvre a été écrite. Le Groupe μ, de son côté, développe les idées d’Eco et propose une théorie sémiotique générale dans laquelle la rhétorique décrit et organise la forme de tout genre d’œuvres (Rhétorique générale, 1970), aussi dans le domaine du visuel (Traité du signe visuel. Pour une rhétorique de l’image, 1992). La psychologie musicale, de sa part (Steve McAdams, Contraintes psychologiques sur le dimensions porteuses de forme en musique, 1989; Irène Deliège, Approche perceptive des formes musicales contemporaines, 1989), souligne l’importance de la notion de figure en tant qu’élément qui permet de mieux comprendre et percevoir la forme de la musique contemporaine.

Dans la deuxième moitié du 20ème siècle, la rhétorique se représente alors comme un nouveau système syntaxique qui peut rendre plus intelligibles les formes complexes de l’art contemporain. Dans ce contexte, certains compositeurs élaborent de nouveau une théorie de la figure musicale qui, cette fois, ne porte pas à une définition univoque, mais contribue à rendre plus intelligible la forme des leurs œuvres. Pierre Boulez (Relevés d’apprenti, 1966) et Franco Donatoni (Questo, 1970 et Processo e figura, 1982) considèrent la figure comme une sorte de nouveau « motif » , tout en se développant dans un contexte sériel. Salvatore Sciarrino (Le figure della musica, 1998) définit la figure comme étant un rapport de contraste, de répétition et de variation entre deux situations sonores suivantes. Brian Ferneyhough (Il tempo della figura, 1993), en analogie au « rhizome » de Deleuze, identifie la figure comme la force souterraine qui permet la transformation d’une situation sonore dans une autre.

Pendant la conférence, on lira d’abord des extraits de quelques œuvres théoriques de ces compositeurs, puis on analysera des extraits de Boulez (Éclat, 1965), Donatoni (Spiri, 1977), Sciarrino (Quintettino n. 2, 1977) et Ferneyhough (String Quartet No. 2, 1979-80) selon leurs définitions de la figure aussi bien que selon les critères de la moderne rhétorique.

Carlo Benzi, né en 1969 à Savone (Italie), a obtenu ses diplômes de Piano (1987), de Composition (1998) et de Musique Électronique (2002) aux Conservatoires de Gênes et de Milan. Il s’est perfectionné en Composition (Prof. Franco Donatoni à la Civica Scuola di Musica de Milan et l’Accademia Chigiana de Sienne ; Cours du Centre Acanthes à Villeneuve-lez-Avignon : Prof. Tristan Murail, Magnus Lindberg, Philippe Manoury, George Benjamin, Alessandro Solbiati ; Stockhausen-Kurse de Kuerthen : Prof. Karlheinz Stockhausen). Il a étudié la Philosophie (Licence, Université de Gênes 1992) et la Musicologie (Bourse de recherche à la Humboldt-Universität de Berlin – Prof. Hermann Danuser ; Doctorat aux Universités de Trento et de Paris IV – Sorbonne 2002, Prof. Rossana Dalmonte et Prof. Jean-Pierre Bartoli). Depuis 2002, il enseigne Harmonie, Analyse et Technologie Musicale au Conservatoire de Bolzano (Tyrol du Sud, Italie). Ses intérêts en tant que compositeur concernent les rapports entre les instruments et l’électronique en temps réel ; en tant que musicologue il a approfondi le domaine de la rhétorique musicale dans les époques baroque et contemporaine. En France, chez l’ANRT de Lille, il a publié sa thèse de Doctorat (Stratégies rhétoriques et communication dans la musique contemporaine européenne 1960-1980) ainsi qu’une analyse selon les principes de la rhétorique musicale de Éclat (1965) de Pierre Boulez pour la revue Musurgia (2005).