CASTRO

Saison passées | saison 2018 - 2019

Vertiges fixés – Voyage symboliste

Piano

Lundi 19 novembre
20:00 - Loft Goethe-Institut
18, rue François Dauphin
Lyon 2e
04 72 77 08 88
Gratuit

Ezequiel Castro, conception et piano
Chloé Amoureux, comédienne
Dans le cadre de Mehr Licht, salon de Lumière du Goethe-Institut

Extrait du poème Bénédiction de Dieu dans la solitude d’Alphonse de Lamartine

Franz Liszt : Bénédiction de Dieu dans la solitude, S. 173/3
Extrait du Traité de Narcisse d’André Gide (1869-1951)
Extrait de Le Monde comme volonté et comme représentation d’Arthur Schopenhauer

Alex Nante : Tres Iluminaciones
Extrait des Illuminations d’Arthur Rimbaud

Tōru Takemitsu : Les Yeux Clos II
Diffusion vidéo (réalisatrice Mélina Ramos-Echeverry)
Récitation du Manifeste symboliste de Jean Moréas

Claude Debussy : Images, 2ème cahier

Extrait de la lettre de Johann Wolfgang von Goethe au chancelier Friedrich von Müller

Note de programme

Par Paulina Nalivaikaite, étudiante Erasmus, département de culture musicale du CNSMD de Lyon

Vertiges fixés – Voyage symboliste
Ezequiel Castro, conception et piano
Bien que les œuvres présentées ce soir appartiennent à des époques différentes, elles sont toutes reliées par un fil conducteur, subtil mais ferme. Deux œuvres contemporaines, aux titres évocateurs, Tres Iluminaciones d’Alex Nante (1992) et Les yeux clos II de Toru Takemistsu (1930-1996) trouvent place entre une pièce religieuse et contemplative de Franz Liszt (1811-1886), Bénédiction de Dieu dans la solitude, et le deuxième cahier des Images pour piano de Claude Debussy (1862-1918).
Ce fil conducteur réside tout d’abord dans le lien tissé entre la musique et les poèmes qui seront lus avant ou après chaque œuvre. Certains pourront avoir inspiré directement le compositeur, d’autres transmettront et compléteront l’atmosphère des œuvres musicales. Tous nous plongeront dans l’univers rêveur et imaginatif de la poésie symboliste. Symbolistes, les œuvres jouées ce soir le sont, plutôt que directement évocatrices. Elles sont également reliées par l’importance donnée par le compositeur à la qualité du son, à l’exploration de la texture et de l’harmonie, voire à la contemplation du son lui-même.

Franz Liszt est volontiers considéré comme l’un des promoteurs de la musique à programme, et ses œuvres orchestrales (que l’on songe simplement à la Faust-Symphonie ou à la Dante-Symphonie) seront sources d’inspiration pour de nombreux compositeurs de l’époque romantique. Dans le domaine de la musique pour piano, on songe naturellement au cycle des Années de pèlerinage, évocateur de ses voyages en Suisse et en Italie. Le compositeur s’inspire d’une grande variété de sources littéraires, mythologiques, historiques ou artistiques, et le cycle Harmonies poétiques et religieuses (1847) est directement inspiré par le cycle éponyme d’Alphonse de Lamartine (1790-1869).
Bien que Lamartine soit considéré comme un poète romantique, ses œuvres peuvent aussi être perçues comme un prélude aux innovations de la génération symboliste. Bénédiction de Dieu dans la solitude est la troisième pièce du cycle composé par Franz Liszt, et traduit en musique le texte contemplatif et extatique de Lamartine.
« D’où me vient, ô mon Dieu! cette paix qui m’inonde ?
D’où me vient cette fois dont mon cœur surabonde ?
»
Par la structure ternaire de cette œuvre, à travers des arpèges flottants, des textures rappelant la harpe, l’utilisation de l’accord majeur avec sixte ajoutée, Liszt exprime les différents états d’âmes de l’adoration de Dieu – la légèreté angélique, l’introspection tranquille et l’extase transcendante. La contemplation religieuse rejoint ici la contemplation de la beauté pure et illuminatrice des harmonies et du son.

Parmi les quatre compositeurs du programme, Claude Debussy est certainement celui qui possède le lien le plus explicite et le plus direct avec le symbolisme. Bien que souvent qualifié d’impressionniste, Debussy, par ses choix de livrets, de textes, de thématiques, s’inscrit pleinement dans les canons de cette esthétique. Comme les poètes symbolistes, Debussy modifie radicalement les conventions du rythme et, si les titres de ses œuvres peuvent évoquer des objets ou des situations concrètes, il refuse l’idée que la musique doit être une narration facilement déchiffrable. Comme Stéphane Mallarmé, Debussy demande au public de transcender la banalité de l’expérience quotidienne. En combinant symbolisme et impressionnisme, la musique de Debussy est capable d’émouvoir notre imaginaire visuel ainsi que de transcender le quotidien en traversant des textures translucides et des harmonies élaborées. Ses Images, 2e série (1907) possèdent sans aucun doute une qualité impressionniste dans la mesure où leurs titres évoquent tour à tour les cloches d’une église de village (Cloches à travers les feuilles), des images d’une Asie sublimée (Et la lune descendre sur le temple qui fut) ou une laque chinoise (Poissons d’or). Ces trois pièces contiennent cependant une influence symboliste : alors que la dernière est principalement visuelle, on peut entendre les réminiscences et les évocations du gamelan indonésien dans les deux premières ; de même que les références exotiques et au voyage sont largement présentes dans la poésie symbolique.

Toru Takemitsu est connu pour son intention de fusionner les philosophies orientale et occidentale, opposant le son et le silence, la tradition et l’innovation. Fortement influencé par la tradition musicale française, élève d’Olivier Messiaen, Takemitsu a souvent exprimé son attachement à la musique de Claude Debussy, évoquant volontiers le compositeur français comme son « grand mentor » (on peut entendre par exemple cet attachement dans les nombreuses harmonies par quartes, proches de celles ouvrant Et la lune descendre sur le temple qui fut). Comme Les Yeux clos (1979), Les Yeux clos II (1988) s’inspire du tableau homonyme d’Odilon Redon, réalisé en 1890. Cette œuvre peut être considérée comme une icône et un manifeste du symbolisme en peinture. Pour Redon, le motif des yeux fermés symbolisait le mystère, le rêve, la méditation et la vie intérieure. La pièce de Takemitsu transpose cette intériorité dans une expression restreinte, une palette dynamique où prédominent les nuances piano et pianissimo, une concentration quasi-pointilliste sur des sons isolés ou des complexes sonores, un contraste entre silence et son, pour finir sur un évanouissement rêveur al niente.

Alex Nante cherche tout autant à évoquer une atmosphère nocturne, parfois onirique, qu’à atteindre un domaine spirituel s’inspirant de traditions sacrées. Le jeune compositeur argentin a composé plusieurs œuvres d’inspirations extra-musicales, telles que la poésie de mystiques orientales et occidentales. Tres Iluminaciones (2017) s’inspire du symboliste Arthur Rimbaud et de son Alchimie du Verbe (1873) : « J’écrivais des silences, des nuits, je ne fais pas l’inexprimable. Je fixais des vertiges. » Les sons suspendus de la musique de Nante se fondent souvent dans le silence, la texture ne s’épaississant seulement que vers le final de l’œuvre, menant à un climax quelque peu retenu, après lequel les sons finaux translucides, quasi-illuminés, se dissolvent dans l’espace.

Selon Ezequiel Castro, le nombre trois irrigue ce programme de nombreuses manières : la pièce de Liszt est divisée en trois sections, et est également la troisième du cycle ; les Images de Debussy sont également au nombre de trois, et le titre de l’œuvre de Nante, Tres Iluminaciones, évoque directement ce nombre.

BIOGRAPHIE

Né à Buenos Aires en 1990, Ezequiel Castro commence le piano au Conservatoire « Alberto Ginastera » et enchaîne dès 2009 à l’Université Nationale d’Arts en Argentine. En parallèle, il étudie la musique de chambre, la composition, puis en 2017, se perfectionne au CNSMD de Lyon auprès d’Hervé N’Kaoua et à Paris avec Marie-Josèphe Jude. Il reçoit aussi les conseils de Nelson Goerner.
En 2014, il obtient sa licence en piano avec sa thèse « Evolution stylistique d’Alexander Scriabine » avec la mention très bien à l’unanimité.
Il se produit en Argentine, Brésil, Chili, France, Belgique, Suisse, Hongrie et en 2014, obtient avec Emliano Barreiro le 1er Prix dans la catégorie Piano à quatre mains du Concours International « Festival de Pianistas » à Mar del Plata. En 2015, il est 3ème au Concours de Piano « Fundación Catedral » et remporte le 1er Prix au Concours de Piano du Mozarteum à Santa Fé. En 2017, il est parmi les trois meilleurs pianistes au concours international du piano « Kajo Schommer Klavierpreis ».
Ezequiel Castro interprète un large répertoire comprenant des œuvres de Jean-Sébastien Bach, Beethoven, Schumann, Chopin, Prokofiev, Liszt-Paganini, Debussy, Stravinsky, Scriabine et Ravel. En 2015, il organise le « Festival Scriabine – Intégrale des sonates pour piano », cycle de 13 concerts à Buenos Aires pour commémorer le centenaire de la mort du compositeur russe.
En 2017 au Chili, il est le soliste du Concerto n°4 pour piano et orchestre de Beethoven avec l’Orchestre Académique d’Antofagasta, sous la direction de Marko Santelices Skorin ; premier concert d’une série dédiée à l’intégrale des concertos pour piano et orchestre du compositeur allemand. Le suivant s’est déroulé en juillet 2018 à la salle Argentine du Centre culturel Kirchner avec le Concerto n°5 « L’Empereur » et l’Orchestre Symphonique d’Antofagasta.
De 2012 à 2015, il a été professeur d’harmonie au Département d’Arts Musicaux et Sonores de l’Université National d’Arts d’Argentine (DAMus – UNA). Il a également été professeur assistant dans le cours d’analyse appliquée d’Alberto Trimeliti et dans la classe de piano de María Terésa Criscuolo.

En 2017, Ezequiel Castro a reçu la prestigieuse bourse « Fondo de Becas » du Mozarteum Argentin.