Dinu Lipatti, 16 septembre 1950 (photo Michel Meusy)

Saison passées | saison 2017 - 2018

Le dernier récital

Autre rendez-vous

Lundi 4 décembre
17:00 - Salle d'ensemble
3, quai Chauveau
Lyon 9e

Gratuit

Centenaire Dinu Lipatti

Projection du film de Philippe Roger le Dernier récital (52’)
suivie d’une discussion avec le réalisateur

précédée par la première projection française du court métrage d’Orlando Murrin Dinu Lipatti in Lucerne 1947 (montage 2017, durée 5 minutes) qui montre pour la première fois des images en mouvement de Dinu Lipatti, provenant des lms amateurs de Walter Strebi, futur président du Festival de Lucerne 

Le nom de Lipatti est indissolublement lié au Festival de Besançon : le 16 septembre 1950 un récital de piano prit place Salle du Parlement ; le jeune pianiste roumain Dinu Lipatti, miné par la maladie qui devait l’emporter deux mois plus tard, rassembla ses forces pour jouer en public une dernière fois. La radio était là, qui enregistra le concert. En 1957, ce témoignage de l’art d’un des plus grands maîtres du clavier fut publié en un coffret de deux disques microsillons, enregistrement qui ne devait plus quitter le catalogue ; cette trace ultime de l’art d’un génie aussi humble que rayonnant fait désormais de ce récital le concert classique le plus légendaire du vingtième siècle.

Le documentaire le Dernier récital entend esquisser un portrait de Lipatti au travers des circonstances de son dernier récital. Philippe Roger est revenu sur les lieux mêmes recueillir des témoignages — celui d’un des plus proches disciples de Lipatti, Jacques Chapuis, ceux d’auditeurs du concert, comme Jacques Kreisler, ceux du biographe du pianiste, Grigore Bargauanu, et du photographe qui immortalisa cet instant de lutte et de grâce. Michel Meusy, qui exerça à Besançon dès 1932 et documenta les trois premières années du festival, de 1948 à 1950, se trouvait dans la Salle du Parlement cet après-midi du 16 septembre 1950, à 17 heures, et prit avec son Rolleiflex huit vues six/six noir et blanc ; le matin même, le médecin de Lipatti, Henri Dubois-Ferrière, photographiait avec Roger Hauert la répétition. Le film part de ces inestimables archives visuelles, qu’il rapproche de documents radiophoniques aussi précieux (le concert : Bach, Mozart, Schubert, Chopin, ainsi que la voix française de Lipatti recueillie avant et après Besançon) pour rendre sensible le message spirituel d’un homme qui demeure à jamais notre frère, notre contemporain.

Entretien avec Philippe Roger (France Musique)

Comment arriver à animer les photographies de Lipatti, dans le film que vous lui consacrez ?

En effet, cela peut paraître paradoxal. Comment bâtir un film à partir de peu d’images ? Pour vous parler de mon documentaire, il faut que je vous décrive la logique de mes films : je pars en général d’un événement passé (en la circonstance, la dernière apparition publique d’un pianiste mythique) et j’essaie de remonter le temps, de retrouver par le cinéma ce temps perdu. Il se trouve qu’avant d’enseigner le cinéma, j’ai été historien ; il doit bien m’en être resté quelque chose ! Je pars des traces subsistantes (huit photos noir et blanc qui m’ont fait retrouver leur auteur, Michel Meusy), je rencontre des membres de l’équipe du Festival d’alors et des proches du pianiste.
Ce travail de documentation n’est que la première étape, pour établir une sorte de parcours initiatique. Il s’agit de rêver à partir de l’archive. Par exemple, pour en revenir aux photographies, construire un récit en imaginant l’ordre des clichés, en interprétant l’attitude des auditeurs ou du pianiste ; leurs gestes, leur regard, leur pensée. Je confronte ces traces avec la réalité présente du lieu où elles ont été prélevées. J’entreprends dans mes films des pèlerinages ; c’est donc par l’espace que j’essaie d’atteindre le temps. J’ai retrouvé le second piano Gaveau du Festival, frère de celui sur lequel avait joué Lipatti. Avec mes témoins, je suis allé un 16 septembre après-midi dans la salle du Parlement de Besançon. Avec mon équipe, je me suis également rendu aux salines d’Arc-et-Senans, proches de Besançon, cherchant dans l’accomplissement de l’architecture de Ledoux un équivalent visuel au jeu de Lipatti, l’équilibre à l’œuvre dans le classicisme souverain de cet être de lumière.
Je pars aussi du son du concert du 16 septembre 1950. Vous me demandez comment arriver à animer les photographies prises par Meusy, je vous réponds : par le son. Vous savez, le son est l’âme des films. Même du temps du cinéma muet ! Que la radio ait pu enregistrer le concert me permet aujourd’hui de faire ce film. D’ailleurs, je partage l’avis du cinéaste russe Sokourov, lorsqu’il déclare que l’idéal du cinéma devrait être la radio. Je fais de la radio en image, c’est-à-dire que je tente de suggérer, par le monde sonore, un au-delà de la représentation immédiate, un hors-visible — appelons-le l’invisible, pourquoi pas ?
Pour approcher le mystère d’un être comme Dinu Lipatti, il faut écouter la plénitude de son jeu, la sérénité de sa prière, qui fait sonner son piano comme du Jean-Sébastien Bach. Et il faut faire dialoguer les images et les sons passés avec les images et les sons présents. Comme une fiction, un documentaire conjugue les temps — tous les temps. Je crois que le travail du cinéaste s’apparente à celui du compositeur, dans la mesure où il s’agit toujours d’organiser, par la forme, des durées ; de rendre flottant le temps fuyant. C’est ainsi qu’il est peut-être possible, en tout cas je le souhaite, d’évoquer la présence persistante de Lipatti parmi nous.

Dans le cadre de Dialogue Est-Ouest

Le monde d’aujourd’hui tire une grande partie de sa richesse des échanges entre les cultures. Dialogue Est-Ouest a pour vocation d’éveiller la curiosité du public et d’encourager les étudiants à accueillir une sensibilité empreinte de métissage culturel au sein de leur jeu afin de le doter d’une générosité sans cesse renouvelée.
Ce festival pose la question de l’influence de la musique traditionnelle sur la musique dite « savante ». Les classes de piano, de direction de chœurs, l’orchestre, le département de musique de chambre et la Recherche répondent présents à l’invitation au voyage musical, et s’ouvrent avec vitalité aux rythmes dansants et aux mélodies suaves d’Europe de l’Est.
Dans un esprit de résonance culturelle, Dialogue Est-Ouest navigue sur les eaux musicales de la Volga, du Danube, de l’Elbe … avec comme fil conducteur les œuvres de Béla Bartók qui est considéré comme l’un des premiers « ethnomusicologues » de l’histoire. La classe d’ethnomusicologie du Conservatoire, animée par Fabrice Contri, se situe d’ailleurs à l’initiative de l’invitation cette année de deux ensembles de musique traditionnelle russe et roumaine qui illustreront la diversité d’un patrimoine musical étonnamment vivant.